BRUCE NAUMAN • SQUARING THE CIRCLE
AVANT-PREMIERE A PARTIR DU SAMEDI 11 OCTOBRE 2025
VERNISSAGE JEUDI 16 OCTOBER 2025 (18-21H)
OUVERTURE SPECIALE “STARTING SUNDAY”: DIMANCHE 19 OCTOBRE 2025 (14-18H)
EXPOSITION DU 11 OCTOBRE AU 1ER NOVEMBRE 2025
Blain - en collaboration avec Bigaignon - est heureux de présenter « Bruce Nauman : Squaring the Circle », une exposition qui explore la portée des mathématiques conceptuelles dans la pratique pionnière de l'artiste, à travers une sélection très pointue de ses œuvres les plus révolutionnaires des années 1980.
Au centre même de l’exposition figure la très iconique sculpture intitulée Skewed Tunnel and Trench in False Perspective (1981), exemple le plus parlant des maquettes de tunnels souterrains que Bruce Nauman a créées entre 1977 et 1981 (deux œuvres sœurs de cette série, Smoke Rings (Model for Underground Tunnels) (1979) et Untitled (Model for Trench, Shaft, and Tunnel) (1978) font aujourd’hui partie des collections du Centre Pompidou et du Musée Reina Sofía, respectivement). Non moins importantes et tout aussi stratégiquement placées pour créer un dialogue puissant avec la sculpture : deux œuvres monumentales sur papier, Buried Ring (1981) et Untitled (Study for Sculpture) (1983), et l’emblématique dessin intitulé 4 Directions In & Out (1985).
L’intimité de l’espace d’exposition offre au visiteur l’occasion, rare, d’entrer en communion avec certaines des œuvres les plus profondes et les plus stimulantes de l’artiste, car il offre un cadre à la fois resserré et exempt de toutes distractions. Réputé pour la place qu’il accorde aux thèmes de la conscience, du contrôle et de l’enfermement dans sa pratique, Bruce Nauman a toujours cherché à susciter des réactions tant physiques qu’émotionnelles chez le regardeur. L’expérience que le visiteur fait de l’espace est un élément essentiel de l’engagement qui se crée avec l’œuvre de Bruce Nauman.
Longtemps reconnu comme l’un des artistes les plus innovants et les plus exigeants de sa génération, l’artiste a su exercer son influence et échapper aux classifications. Son œuvre ne peut se définir simplement, parce qu’au cours de sa carrière, il a choisi d’explorer une vaste diversité de médiums d’une part, mais aussi parce qu’il a refusé de se limiter à un style en particulier. Comme le souligne Kathy Halbreich, curatrice et grande spécialiste de Bruce Nauman : « La fluidité de ses idées, de ses approches et des matériaux qu’il utilise rend l’acte critique le plus élémentaire – celui de l’étiquetage – éphémère et peu pertinent. Il est impossible de le faire entrer dans une case. ». Cela ne doit pas nécessairement être interprété comme une volonté de l’artiste d’éviter toute catégorisation, mais plutôt comme le signe que sa pratique pourrait être décrite plus justement comme des concepts mathématiques déguisés. Cela n’a rien de surprenant, puisque Bruce Nauman a d’abord étudié les mathématiques et la physique, à l’Université du Wisconsin, avant de se consacrer à l’art. Il reconnaît lui-même que s’il n’est pas devenu mathématicien, il a conservé un mode de pensée très similaire, qu’il a transposé dans l’art. « Cette activité d’investigation est nécessaire », dit-il.
Ainsi, l’usage que fait Bruce Nauman des systèmes, de la répétition et des agencements spatiaux peut être considéré comme une réappropriation conceptuelle des idées mathématiques. Maquettes de tunnels et dessins ambitieux y évoquent un univers liminal qui confronte le spectateur tant à sa notion intime de la perception qu’à la réalité de sa propre expérience physique.
De la même façon, Bruce Nauman su équilibrer l’esthétique résolument minimaliste qui dominait l’art occidental dans les années 1970 et 1980, avec la dimension tactile et brute des matériaux ordinaires qu’il privilégiait. En écartant volontairement le métal – que privilégient Alexander Calder et Donald Judd par exemple – et en préférant le plâtre à la pierre, l’artiste s’aventure en territoire inconnu. Et c’est parce qu’il décide de laisser visibles les imperfections du moulage, que ces aspérités dans le plâtre viennent contredire la surface lisse et parfaite du minimalisme, qu’il est un pionnier.
En plus de ces différences qui l’opposent dans la forme à ses contemporains qui cherchaient dans leurs sculptures à avoir le contrôle total de la matière, Bruce Nauman se distingue par son approche conceptuelle – illustrée notamment dans Skewed Tunnel and Trench in False Perspective, où les deux moitiés du cercle de Nauman ne se rejoignent jamais. Ainsi, quiconque marcherait dans la tranchée ne pourrait pas parcourir l’arc sans tomber dans une impasse. Le cercle n’est donc pas parfait, et les tunnels impossibles de Nauman sont conçus, délibérément, sans entrée ni sortie.
Dans les années 80, Bruce Nauman poursuivait ses recherches et créait ses œuvres à partir de formes géométriques (cercles, triangles, carrés), qu’il coupait généralement en deux pour en forger une troisième, inédite. Ses maquettes de tunnels souterrains se retrouvèrent au cœur de ses préoccupations. Il souhaitait que ces « tunnels-maquettes » soient sans lieu – si possible enterrés, ou bien encore flottant dans un espace indéterminé, fabriqués de façon rudimentaire à partir de matériaux trouvés dans son atelier. Cette inventivité dans l’usage de matériaux de récupération rappelle l’impressionnante capacité de Picasso à se réapproprier ce qui l’entourait. Toutefois, pour ses dessins ambitieux – clairement destinés à explorer de nouvelles méthodes de construction et de présentation – comme pour ses sculptures de tunnels, Bruce Nauman semble s’être inspiré à cette époque des croquis de tunnels réalisés par Henry Moore pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 1988, dans un entretien pour Art in America, l’historienne d’art Joan Simon demandait à Bruce Nauman si son intérêt à inverser les idées, à montrer « ce qui n’est pas là » et à résoudre – ou du moins à révéler – des problèmes « impossibles » était lié en partie à sa formation en mathématiques. Nauman répondit qu’il s’intéressait plus particulièrement à la façon dont on pouvait retourner cette logique. Il était fasciné par les problèmes mathématiques, notamment par « la quadrature du cercle » que les mathématiciens ont, pendant des centaines d’années, tenté en vain de résoudre. (Ce problème, qui consistait à construire un carré dont l'aire serait égale à celle d'un cercle donné, a été reconnu comme insoluble au XIXe siècle.) Nauman commente : « Je ne me souviens plus du nom du mathématicien, mais son approche consistait à se placer à l’extérieur du problème plutôt qu’à lutter depuis l’intérieur… Se tenir à l’extérieur et regarder comment quelque chose se fait ou ne se fait pas, c’est vraiment fascinant. Si je parviens à me placer en dehors du problème et à m’observer en train de m’épuiser, alors j’arrive à voir ce que je dois faire – ça rend les choses possibles. Ça marche. »
En 1979, Bruce Nauman s’installe à Pecos, au Nouveau-Mexique, où il se construit un nouvel atelier. Les projets de tunnels figurent parmi les premiers objets créés dans ce nouvel espace. Dans ces projets, Nauman imaginait des couloirs sans fin aux formes courbes et sinueuses, pour la plupart enterrés, d’autres conçus pour flotter dans le ciel. L’artiste était particulièrement attiré par l’expérience physique de la marche à travers un tunnel et par la désorientation qui s’installe un peu plus à chaque virage, face à l’inconnu. ans un tunnel circulaire, on suivrait continuellement la courbure, sans jamais savoir ce qui se cache au prochain tournant. Il expliquait : « Parce que c’est un cercle et que vous marchez en suivant la courbe, vous ne verrez jamais vraiment très loin derrière vous – vous ne pouvez même pas sortir de la pièce… » (B. Nauman, dans M. de Angelus, « Interview with Bruce Nauman », 1980, in J. Kraynak (éd.), Please Pay Attention Please: Bruce Nauman’s Words, Cambridge, 2003, p. 280).
En découvrant une des pièces à la Halle für Neue Kunst de Schaffhausen, en Suisse, dans les années 1980, le curateur Richard Flood déclarait : « C’était là la colonne vertébrale de l’art américain. J’en ai eu le souffle coupé. La façon dont l’œuvre vous oblige à vous situer physiquement face à elle m’a profondément marqué. » Skewed Tunnel and Trench in False Perspective fera partie de l’exposition qu’il organisera à la Barbara Gladstone Gallery de New York en 1987. « Je n’ai pas compris ces pièces au début .», décrit-il, « Mais quelques années plus tard, elles donnaient l’impression d’avoir été exhumées, comme si elles attendaient que le temps les rattrape. » (R. Flood, cité dans B. Adams, « The Nauman Phenomenon », R. C. Morgan (éd.), Bruce Nauman : Art and Performance, Baltimore & Londres, 2002, p. 82).
En tant qu’êtres humains, nous percevons le temps comme linéaire. Il est rare que nous puissions suspendre cette perception et nous en extraire pour un temps. Si nous le pouvions, nous comprendrions peut-être mieux ces personnages de l’histoire qui étaient en avance sur leur temps. Nauman est un de ceux-là. Sa capacité à se mettre à distance de lui-même et à observer ses propres idées lui a sans doute permis d’ouvrir une fenêtre sur l’avenir de l’art – tout en attendant que le reste du monde le rejoigne.