Thomas Paquet FONDATION VALENTINO

À l’occasion de l’ouverture de PM23, le nouvel espace culturel initié par la maison Valentino à Rome et dédié au soutien des talents contemporains, une commande spéciale a été confiée à Thomas Paquet. L’artiste a conçu une installation photographique inédite, pensée pour dialoguer avec l’architecture singulière de la Fondazione Valentino Garavani e Giancarlo Giammetti. Cette œuvre monumentale incarne un geste radical, à la croisée de la technique, de la matière et de la vision.

”Cette installation photographique constitue une œuvre totale. Elle forme le dépassement des contingences techniques, exprime au-delà de l’image le sentiment de la vision pure, elle constitue enfin le chant optique qui conjure la fin de l’Histoire.

Cet immense tirage couleur, inédit dans l’histoire contemporaine des procédés photochimiques artistiques, transforme la chromie du papier photosensible en une substance imageante. Elle est une présence perçue, une matière étirée en horizon. L’œuvre a été réalisée avec probablement les deux derniers rouleaux de papier Kodak de ce format existant encore dans le monde. Elle ne sera plus jamais réalisable dans les mêmes conditions, elle est unique et définitive. Elle est l’ultime sursaut d’une technologie du XXe siècle. L’œuvre est devenue une relique précieuse : elle est ainsi inaugurale (inédite) et testamentaire. Sa valeur infinie est née de ce cycle qui enroule l’histoire de l’art sur elle-même, indifférente au progrès, elle abolit le temps car elle témoigne de la possibilité des retours. On pourrait qualifier cette œuvre de « néo-analogique ».

Thomas Paquet travaille depuis des années les formes et les substances de l’horizon. Ses photographies ne sont pas des prises de vue du réel, mais l’expérimentation des qualités photosensibles des chimies photographiques. Tout est dans « le photographique », conçu comme un monde en soi, de lumières, de couleurs, de substances et d’imaginaires. Le papier a été insolé par un ruban de leds programmées selon un rythme précis pour obtenir des nuances qu’aucune autre technologie ne peut fournir. Comme un savant alchimiste, Thomas Paquet a construit son système, il s’est entouré des meilleurs techniciens, en informatique comme en laboratoire argentique. Il a trouvé au studio du Fresnoy l’une des dernières développeuses couleur de ce format. Le tireur Diamantino Quintas a permis la réalisation d’une opération acrobatique, dans le noir, qui a consisté à « passer » d’immenses lés de papier dans la machine au rythme des projections lumineuses du dispositif programmé par Benjamin Sonntag, greffé en avant de la développeuse. Rien ici n’est high-tech, tout le processus a été imaginé sur le mode d’un fab-lab pour répondre à une commande d’exception : des tirages de plus de 10 mètres analogiques couleur qu’il a fallu ensuite rigidifier tout en conservant la souplesse nécessaire pour épouser la courbe de la salle ovale de la Fondazione Valentino Garavani e Giancarlo Giammetti. Et cela grâce à un contrecollage de surface (Diasec) réalisé par le meilleur atelier de Paris (Atelier Image Collée), suivant en cela l’intuition du galeriste Thierry Bigaignon. À certains égards, la production de l’œuvre est un véritable cas d’école.

En peinture comme en teinture, le rouge a été la première couleur que l’homme ait maîtrisée. Elle est le début de la couleur, elle est aussi la couleur des révolutions, au sens propre du terme : la couleur de ce qui revient à son point d’origine. Le crépuscule est l’instant étiré qui achève la course du soleil et réchauffe déjà les lueurs de l’aube. L’histoire de la photographie est exactement à ce point : les créations les plus contemporaines enchantent l’obsolescence des techniques. Ce magnum opus de Thomas Paquet ne peut être comparé qu’à ce qui serait une lamelle monumentale de la pierre philosophale. Elle a le mystère d’un récit épique et inspire une paix contemplative.

La référence à la salle du musée de l’Orangerie, qui accueille les derniers Nymphéas de Monet, vient à l’esprit : dans la courbe fœtale d’un temple de l’art, le regard sensible suit les courbes d’un cycle qui ignore l’idée de fin et de début. L’Horizon rouge de Thomas Paquet est un crépuscule infini. Il manifeste l’immortalité du rouge, sa saveur haptique offre à notre œil une surface de velours. C’est un tapis volant soudain métamorphosé en peinture murale. Comment ne pas penser au rouge des fresques de la villa des Mystères à Pompéi, devant l’écrin que l’œuvre procure aux robes mythiques de Valentino surnommé l’Empereur du rouge ?" 

Michel Poivert